Georges Alloro est musicien et Maître d’Art en lutherie contemporaine. Il s’est intéressé à tous les métiers manuels et en 40 ans de travail, il a acquis les bases d’un grand nombre de techniques et la connaissance des matériaux les plus divers. Il utilise les uns et les autres dans ses créations instrumentales.
Comment vous est venue l’envie de devenir facteur d’instruments nouveaux ?
J’ai appris en même temps le travail manuel et la musique.
En ce qui concerne le travail manuel, j’ai eu la chance de bénéficier d’un apprentissage multi-techniques. Avec mon père, artisan plombier, avec lequel j‘ai travaillé dès l’âge de quatorze ans, et avec les artisans du Vieux Port, à Nice, auprès desquels j’ai beaucoup appris.
J’étais guitariste de jazz, dans les années 60. J’aimais profondément cette musique qui laissait une large part à l’improvisation et au rythme, mais cependant j’éprouvais une insatisfaction qui allait en grandissant. Quelque chose me semblait manquer sans que j’arrive à définir de quoi il s’agissait. C’est en découvrant, par hasard, la musique de l’Inde du Nord, un soir à la radio, que j’ai compris qu’il existait d’autres modèles musicaux, d’autres voies que celle empruntée par la musique occidentale.
Pour me rapprocher de cette musique, sans abandonner mon instrument, j’ai décidé de le transformer. J’ai ajouté à ma guitare jazz des cordes sympathiques de résonance, des cordes rythmiques et j’ai transformé les chevalets pour permettre le dégagement d’harmoniques. C’était mon premier instrument “transformé”.
Je ne savais pas qu’il allait ouvrir la voie à tous ceux que j’ai conçus et fabriqués par la suite.
En quoi consiste votre métier ?
Je dirai que l’essentiel de mon métier consiste à pousser aussi loin que possible les capacités musicales d’un instrument, de poursuivre en quelque sorte son évolution en lui apportant des “perfectionnements”.
Et en tant que Maître d’Art, j’ai pour mission de transmettre à mon élève, Gontran Onraedt, lui aussi musicien, ces connaissances, ces techniques, ce savoir-faire et mon intérêt pour les cultures musicales du monde.
Notre objectif principal est de mettre « l’innovation au service des musiciens » qui souhaitent enrichir le potentiel musical de leur instrument.
Êtes-vous nombreux à exercer ce métier ?
Je répondrai par “oui” et par “non”.
Non, si l’on considère les facteurs d’instruments existants. On fait, bien évidemment, beaucoup plus de violons, de pianos ou de guitares, instruments fidèles à la tradition que d’instruments nouveaux. Le dernier instrument nouveau devenu populaire est le saxophone.
Oui, pourtant. Car tout au long du XXème siècle, les créateurs d’instruments nouveaux, à la recherche de sons nouveaux, ont été relativement nombreux. La France, dans ce domaine, tient une place de premier plan. Il suffit de se rappeler des frères Baschet qui dans les années 50 ont mis au point des structures sonores basées sur le principe de tiges que l’on met en vibrations (et dont je me suis, d’ailleurs inspiré, pour deux instruments : l’Orgue de verre et l’Orgue d’acier). Il faut aussi citer les “ondes Martenot” instrument électronique présenté par son inventeur Maurice Martenot, en 1928, en quelque sorte l’ancêtre du synthétiseur.
Toujours en France, et actuellement, deux créateurs d’instruments nouveaux sont particulièrement intéressants pour la qualité et l’originalité de leurs instruments : Patrice Moulet et Robert Hébrard.
Comment devient-on facteur d’instruments nouveaux, quelles sont les études pour y arriver ?
Il n’y a pas de cursus spécifique.
Il me semble impossible d’être facteur d’instruments nouveaux sans être musicien. Et pas n’importe quel musicien, mais quelqu’un qui est à la recherche d’espaces sonores nouveaux. On ne peut pas créer un nouvel instrument si on n’est pas profondément investi dans une recherche musicale.
Quant aux études techniques, manuelles, il faut pouvoir allier la maîtrise des techniques de lutherie traditionnelle et la liberté d’innover.
Selon vous quelles sont les compétences nécessaires pour exercer ce métier ?
Une forte motivation, puisqu’il s’agit encore d’être des pionniers et d’avancer sans se décourager.
La persévérance qui permet d’acquérir un “métier”.
La rigueur qui permet de ne pas se satisfaire de l’à-peu-près.
La liberté d’esprit et la curiosité qui permet d’explorer sans cesse des voies nouvelles
Et bien sûr le goût de la musique et du travail manuel.
Quelle est votre clientèle ?
Tous les musiciens qui sont animés par le goût d’explorer.
Au sein des ateliers G-Alloro, nous proposons des études sur mesure en Custom, à partir de l’instrument personnel du musicien ou en Création originale.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaiterait se lancer dans ce métier ?
Pratiquer un instrument de musique quel qu’il soit.
S’ouvrir aux cultures et aux musiques du monde.
S’intéresser à tous les métiers manuels car on peut trouver dans chacun des éléments à exploiter pour la lutherie.
S’intéresser à tous les matériaux des plus traditionnels aux plus contemporains.
Vous avez reçu dernièrement le titre de Maître d’art, qu’est-ce-que cela représente pour vous ?
Bien sûr, la joie d’une reconnaissance, surtout dans un domaine aussi novateur.
Mais surtout, le sentiment de responsabilité envers mon élève vis-à-vis de qui je me suis engagé à transmettre mes connaissances. Ce qui n’est pas une chose facile étant donnée le haut degré de créativité que ce travail requiert. Il ne s’agit pas, en effet, de transmettre seulement des connaissances, mais aussi un certain type d’esprit propice à l’inventivité.
Pour conclure
Après 40 ans de recherches et de réalisations dans le domaine de la facture instrumentale contemporaine, je me considère toujours comme un apprenti. En effet, plus j’avance plus je prends conscience de l’immensité du domaine qui reste encore à explorer.
Georges Alloro, la Rédaction d’Espace-Artisanat vous remercie pour le temps que vous lui avez accordé.